Cher Edmond,
J'espère que vous vous portez bien depuis ma lettre de mercredi. Je vous avais promis de vous raconter une autre aventure advenue dans le métro parisien... Comme j'aurais aimé que Cyrano fût présent cette fois encore !
Comme ma petite mésaventure pédestre racontée dans ma dernière lettre, la scène à laquelle j'ai assisté ce jour-là a été d'une certaine banalité...
La rame était encore une fois bondée, comme seul peut l'être le métro aux heures de pointe. Tout à coup, à l'autre bout du wagon, une violente querelle a éclaté entre deux passagers. Je ne pourrais vous décrire ces deux hommes, entassée comme je l'étais entre une étudiante en architecture transportant des plans encombrants, un rasta aux dreadlocks volumineuses et deux hommes d'affaire de haute taille... Je peux juste attester que bien vite ont résonné dans le wagon, devenu silencieux du fait de la gêne des autres voyageurs, des insultes que je rougirais de vous répéter (même si je ne suis pas une précieuse comme Roxane) mais dont le contenu m'a paru fort empreint de racisme, et ce des deux côtés...
Au bout d'un moment, comme le "débat" montait en puissance, des passagers indignés ont commencé à inciter les adversaires au calme et à la pondération, l'intervention la plus désespérée venant selon moi d'une dame âgée qui s'est mise à crier : "Arrêtez, arrêtez, je ne supporte pas la violence!"
L'issue de l'altercation était proche, cependant, car juste après les deux passagers vindicatifs au langage fleuri sont descendus vider leur querelle à la station Blanche (admirez l'ironie du sort!). Je préfère ne pas savoir comment l'histoire s'est finie!
Une telle scène pourrait facilement faire douter du genre humain, mais c'est sans compter sur l'aide précieuse que peut nous apporter Cyrano de Bergerac dans ce cas précis...
Imaginez un instant, par exemple, que les deux protagonistes et les spectateurs de la querelle aient eu la verve de vos personnages... Quel divertissement c'eût été que d'assister à la scène!
En voici la démonstration :
"PARIGOT DE METROGNAC, drame romantique contemporain.
Acte I, scène 3
La scène se passe dans un wagon de métro parisien, peu avant d’arriver à la station Blanche. Une foule de passagers se presse dans le wagon, l’air fatigué. On entend la musique des ipods en sourdine.
Le Vicomte de Barbès
Il me semble, Monsieur, avoir lu dans vos yeux,
De l’animosité et du mépris !
Le Marquis de Saint-Ouen
Ô, cieux !
Vous êtes inconscient de me chercher querelle,
Trouvez-vous, par hasard, qu’elle n’est pas assez belle,
Cette couleur de peau que le Ciel me donna ?
Le Vicomte de Barbès
Vous me feriez raciste ? Oh, vous n’oseriez pas !
Sachez, Marquis félon, qu’aux Cadets où je sers,
Ce genre de différend se règle à la rapière !
Je vous trouve, aussi bien, très fat et méprisant !
Le Marquis de Saint-Ouen
Quant à moi je déplore que vous soyez si blanc !
Votre peur se perçoit, voyez, vos joues sont blêmes !
Je vous trouve affligeant…
Le Vicomte de Barbès
Vous avez un problème ?
Vous êtes un coquin, un fourbe, une canaille !
Le Marquis de Saint-Ouen
Permettez-moi donc de vous appeler « Racaille » !
Le Vicomte de Barbès
Jeune gueux !
Le Marquis de Saint-Ouen
Sombre idiot !
Le Vicomte de Barbès
La Honte de la France !
Une Précieuse (affolée)
Messieurs, je vous en prie, j’abhorre la violence !
Un Cavalier (indigné)
Videz votre querelle ailleurs que dans ces lieux !
Un Cadet (Roussel)
Un tel spectacle est vain et choquant, mes aïeux !
Le Vicomte de Barbès
Ne nous exposons pas aux fureurs de la foule
Régler cela entre hommes, aux poings, serait plus cool :
Vous me rendrez raison de vos propos abjects.
Le Marquis de Saint-Ouen
Je vous lance un défi pour tous vos mots infects !
Rendez-vous donc ce soir, au coucher du soleil.
Il va falloir que coule, ici, un sang vermeil…
Ne vous attendez pas à ce qu’alors je flanche !
Le Vicomte de Barbès
Mais me voici chez moi, voilà la station Blanche…"
Voilà ce qui aurait pu être dit si les deux protagonistes avaient eu un peu de lettres et d'esprit! Si seulement celui de Cyrano pouvait souffler de temps à autre dans le métro!
Recevez, Monsieur Rostand, mes salutations les plus respectueuses!
Philomène.