Cher Illustre Philosophe,
Vous me pardonnerez cette audace, qui me pousse à vous écrire alors que je ne connais pas grand chose de vous, mis à part les circonstances tragiques de votre mort, le renom que vous avez acquis depuis la Grèce Antique, et surtout cette illustre phrase qui m'a beaucoup influencée depuis mes cours de philosophie de Terminale...
"Je sais que je ne sais rien..."
Voilà qui est particulièrement vrai, et je ne parle pas ici seulement des cours de Mathématiques ou de Sciences Physiques, durant lesquels je regardais les professeurs avec des yeux vides de merlan frit, au fond desquels passait parfois une lueur de panique digne de celle d'une noyée voyant arriver la vague qui va la faire couler définitivement... J'en frissonne encore!
Quittons ces souvenirs humides et traumatisants pour nous intéresser à cette citation bien sentie : je suis d'accord avec vous, ô Philosophe, pour dire que plus on explore un sujet, plus on se rend compte de sa vastitude (^_^ là je prends conscience de ma crétinitude), pardon, de son ampleur, et de tout ce qui nous reste à maîtriser pour le connaître dans sa totalité, sous réserve que l'on y parvienne un jour...
Et, comme des exemples concrets valent mieux qu'un long discours...
Je chantais l'autre jour avec ma chorale, et au terme d'un morceau à mon sens particulièrement bien réussi, je me tournais vers ma voisine pour lui faire part de mon enthousiasme devant notre prouesse vocale, lorsque celle-ci me devança en déclarant : "Il y a encore beaucoup de travail, j'ai trouvé les sopranes un peu fausses sur le mi bémol et nous avons mal respecté le rythme du duolet. A la troisième mesure, les basses ont pris un retard d'un demi-temps sur les ténors qui, eux, ne prononcent pas suffisamment les consonnes, ce qui empêche la bonne compréhension des paroles et fait perdre tout son sens au chant." J'ai replongé, penaude, mon nez d'ignare dans ma partition de débutante en me promettant de chercher bien vite dans une encyclopédie, voire sur wikipédia, le sens du mot "duolet" qui manquait à ma culture...et à garder pour moi mes opinions de profane!
J'ai également pris conscience de mon ignorance lors d'une conférence sur l'Art Roman à laquelle j'assistais (oui, de temps en temps, j'aime bien essayer de me cultiver un peu...), intéressante certes, mais traînant "un peu" en longueur... Au bout de quatre heures d'affilée assise sur une chaise en paille, piquant de temps en temps du nez pour le relever aussitôt, penaude, et le tourner vers la fenêtre derrière laquelle brillait un soleil radieux comme une invitation à la promenade (quel supplice!), l'esprit de plus en plus distrait et imperméable aux mots "tétramorphe", "triforium" et "donatio legis", j'étais sur le point de faire un coup d'éclat en me levant d'un coup pour demander à la cantonnade : "Mais il y a-t-il quelqu'un ici qui comprend quelque chose et/ou qui ne lutte pas contre le sommeil? Auditeurs de conférences sur l'Art Roman de tous les pays, unissons nous contre la tyrannie culturelle qui réduit un sujet passionnant à l'état de somnifère pour insomniaques hyperactifs! Je vous ai compris!" C'est alors que mon voisin a pris la parole, l'air intéressé, intelligent et, surtout, vraiment réveillé, pour demander : " Mais j'aimerais en savoir plus sur les anges thuriféraires de part et d'autre de la mandorle centrale : à quel passage de l'Ecriture font-ils écho? Peut-on y voir les prémices d'un mouvement spirituel particulier?". Je suis retournée à ma rêverie, oubliant mes vélléités révolutionnaires et me promettant de regarder dans un dictionnaire le sens du mot "thuriféraire"!
Il m'est arrivé plusieurs fois, tandis que je venais de terminer un livre un peu engagé, contenant une thèse sociale, de me congratuler intérieurement en me disant : " Je suis sur la voie de la culture, ça y est, je SAIS des choses, je pourrai désormais intervenir dans un débat portant sur ce sujet en ayant des choses intéressantes à dire et en m'appuyant sur des références précises! Je deviens plus mûre, plus adulte dans ma réflexion. Youpi!". Opinion tout de suite mise à l'épreuve dans les débats tant attendus, où, là encore, je luttais contre le sommeil et où je me révélais incapable de prendre la parole en glissant nonchalamment : "Comme disait Finkelzone..." ou "La thèse de Kopelmayer sur le sujet me paraît bien illustrer cette idée...". Et généralement, cela s'est terminé pour moi par une réflexion du genre : "Non, je n'ai pas tellement d'idées là-dessus, en revanche j'ai vu la dernière adaptation cinématographique de Jane Austen et j'ai trouvé l'acteur principal vraiment canon!"
J'entends d'ici votre silence réprobateur, cher philosophe, et je le comprends. Mais vous m'accorderez le mérite, je l'espère, d'une certaine honnêteté face à mon manque de sérieux et de connaissances, qui va dans le sens de votre citation fort pertinente!
Sur ces bonnes paroles, ô Socrate, comme j'ai de toutes évidence un certain nombre de lacunes intellectuelles à combler, vous comprendrez qu'il me faille prendre congé de vous afin de me plonger dans de gros volumes poussiéreux...
Respectueusement,
Philomène.
PS : ça a quel goût, la ciguë? Je crois que je vais aller chercher ça sur Wikipédia...